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Dès l'âge de quatorze ans, j'ai travaillé sur un
chantier où j'écrivais les courriers des ouvriers. Je partageais leur
douleur, leur chagrin et quelquefois leur joie. Même quand je suis entré à l'Université, je retournais
fréquemment sur les chantiers pour écrire leurs lettres. Je n'avais qu'un rêve : écrire leur vie, je prenais
souvent des notes. La dernière année d'Université, j'ai terminé mon livre. Je
ne parlais ni de moi, ni du chantier et pourtant je l'intitulais "A
l'ombre du mur sans toit". Quand je l'ai confié à l'éditeur, il s'engagea à prendre
la permission du Gouvernement aux fins de publication, et de publier mon
livre s'il lui plaisait. Quatre jours
plus tard, j'ai été arrêté par la Savak, la terrible police du Chah. Rien que le nom de Savak me faisait
peur. Tout d'abord, on m'a accusé
d'être Communiste et on me demandait le nom de mes complices. Six mois de prison m'ont brisé, j'étais complètement
coupé du reste du monde. On a
confisqué mon livre, et je n'en avais gardé aucune copie. A l'époque la photocopie était chère. Je ne me doutais pas de la confiscation de mon livre. Libéré, je suis devenu un ex-prisonnier de la Savak. Non
seulement, j'ai perdu mon rêve mais mon avenir aussi. Je ne tardai pas à me trouver dans la
clandestinité. Je savais que l'espérance de vie d'un clandestin est au
maximum de deux ans, mais que pouvais-je faire? Je changeais de résidence chaque semaine. Je manquais d'argent.
J'avais abandonné l'Université et sans espoir, je vivais au jour le jour,
jusqu'à ce que la Savak cesse de me poursuivre et que son chef fût
arrêté. Une grande anarchie régnait
dans le pays. Je suis rentré chez moi
et suis devenu chef d'une bande de jeunes, un héros. J'organisais des
manifestations, des actions punitives à l'encontre des gens soupçonnés ou des
riches. La Savak abandonna ses poursuites et les policiers avaient peur de
moi. J'agissais comme je voulais, je
récoltais même une sorte d'impôt. Je donnais l’ordre d'incendier la maison ou
la voiture de ceux qui refusaient de me payer ou de lancer des bombes dans
leur maison jusqu'à ce que l'Imam Khomeyni rentre en Iran. Quelques mois plus tard, un Djihad a été organisé pour la
reconstruction du pays. Dans notre région nous commençâmes à construire des
barrages face aux torrents. Nous travaillions du matin jusqu'au soir et, nous
ne recevions pas de salaire, seulement le repas et un endroit pour dormir. De cette manière j'ai rencontré la paysannerie de mon
pays. Les paysans étaient encore plus simples que les travailleurs que
j'avais déjà rencontrés. Le Djihad était agrandi. On ne faisait plus confiance aux
habitants de notre ville. Donc, on a envoyé un nouveau responsable. Toutefois
je suis resté chef du groupe d'agriculture.
Trois autres groupes sont nés : technique, construction et
éducation. Nous utilisions les
véhicules des autres administrations avec leur chauffeur. Le responsable de l'éducation était en contact avec les
enfants et les femmes. On ne savait d'où il venait, ce qu'il faisait avant et
sa capacité à former les enfants. Pourtant, j'ai bien constaté qu'il agissait
souvent avec force et qu'il faisait peur aux paysans. Un jour, le Juge de notre ville arrêta le responsable de
l'éducation du Djihad, officiellement parce-qu'il avait confisqué sans
permission du Juge, le véhicule du Tribunal. Quand le Juge a protesté, il lui
a donné une gifle. C'est ce qui a été
dit, mais le Juge voulait bien l'arrêter.
De nombreuses plaintes furent déposées pour détournement de mineur
contre lui. Pourtant les plaignants n'ont jamais osé maintenir leur plainte,
c'est pour cela que le Juge le détestait. Cependant, arrêter le chef de
l'éducation du Djihad était un mépris pour toutes les institutions
révolutionnaires. Le Juge était un ex-élève de Khomeyni, même s'il avait
étudié à l'école Coranique, il
était diplômé de l'université du Chah et également Juge d'un Tribunal
existant avant la Révolution. Rien ne permettait à un Juge de faire
arrêter un membre du Djihad par la Police. La première nuit où le chef du Comité d'Éducation était en
prison, les responsables du Djihad et le chef des Gardiens de la Révolution
se sont réunis pour prendre une décision.
Nous avions décidé de menacer le Commissaire de Police qui
le gardait prisonnier, afin qu'il le libère. Cela n'a pas marché et il a
répondu qu'il avait l'ordre de résister. Il nous a informé que le prisonnier
était gardé dans un local en dehors de la prison, il ignorait où. Une deuxième solution a été choisie :
Le Commandant des Gardiens de la Révolution devait déclarer une manifestation
pour soutenir la guerre contre l'Irak.
Dans cette manifestation, il haranguait la population contre l'Irak et
ses espions, ensuite désignait le Juge comme Responsable des échecs de
l'Armée d'Iran, pour provoquer les manifestants à recourir à un lynchage du
Juge. J'avais peur. La décision a été
écrite, nous avons juré de fermer notre bouche jusqu'à la fin de cette
affaire et nous avons tous signé. Je ne pouvais pas dormir. Il était minuit j'ai décidé de
demander au Juge de ne pas venir le lendemain à la manifestation. Je lui ai téléphoné en changeant ma voix, je lui ai dit de
ne pas venir le lendemain à la manifestation. Il a répondu : qui êtes-vous? - Peu importe, je vous
demande de ne pas venir - Pourquoi? - Parce-qu'on veut vous
tuer. - Vous ne me faites pas
peur, d'ailleurs je reconnais votre voix, vous êtes le responsable de
l'agriculture du Djihad Puisqu'il m'avait reconnu je lui ai répondu : "je
vous en supplie, c'est sérieux". Il a raccroché. J'ai téléphoné au Commissaire. Celui-ci était mon meilleur
copain d'enfance. Je lui ai tout expliqué, mais il m'a répondu : Khoda
Paraste n’en fait qu'à sa tête. Il croyait que cette arrestation allait mal
se terminer et qu'il allait lui demander de ne pas venir le lendemain. Une demi-heure plus tard, il me téléphona "ce n'est
pas possible il ne m'a pas cru, mais demain nous l'encerclerons. Si c'est
nécessaire, je le garde par la force. Je t'assure qu'il ne sera pas tué
demain". Pourtant je ne pouvais
pas dormir. Le matin, la manifestation était commencée. Comme prévu,
le Juge Khoda Paraste y a participé. Tous les policiers sont venus, le
discours commença et enfin, les Gardiens et les Bassidjis (les milices) ont
attaqué Khoda Paraste, qui resta encerclé par les policiers. Avant l'arrivée des milices, j'ai entendu
quelques coups de feu. Ensuite, le
Commissaire avec un haut-parleur, annonça la mort accidentelle du Juge.
Ensuite nous entendîmes la sirène d’une ambulance. Les Gardiens et les Milices se dispersèrent. . L'affaire
était réglée, seule restait la libération du chef d’éducation du Djihad. Je tremblais, je ne pouvais plus rester dans le Djihad. Le Commandant des Gardiens de la Révolution téléphona au commissariat en disant : "si vous ne voulez pas avoir le même destin que votre Juge, libérez tout de suite le responsable du Djihad". Le commissaire répondit "je ne peux pas, hier il a été transféré dans la Capitale. D'ailleurs, nous avons reçu l'ordre d'interroger les autres membres du Djihad pour tentative de mort. Tous les responsables du Djihad et les Gardiens de la
Révolution furent mutés dans une autre ville, sauf moi. Djalal fut libéré et
le Juge qui avait simulé sa propre mort revint. En fait, le commissaire et le
Juge s'étaient mis d'accord pour que le commissaire tire en l'air et que le
Juge se couche par terre. De cette manière ils feraient croire aux
organisateurs, à la mort du Juge. Ensuite, sauver le Juge avec une ambulance
était facile. Quand
j'ai pris le poste de chef du Djihad, j'ai vu sur mon bureau une lettre.
"Si pour le Juge nous avons échoué, pour toi nous choisirons une autre
méthode : «tu es déjà mort».
Nous savons que tu étais communiste et tu as écrit un livre pour les
travailleurs. Nous avons ton livre, on te fera tuer dans la prison par les
bandits. Mon passé me suivait. Si la SAVAK était partie, la SAVAJA
continuait de poursuivre les communistes.
JA remplaçait le K à la fin du nom du service . |